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lundi 14 février 2022

Dante - Divine Comedie (P-A Fiorentino) - Paradis - 02-33

LE PARADIS

CHANT II.

Ô vous qui, désireux d'entendre, avez suivi dans une petite barque mon esquif lancé sur les Dois en chantant, revenez-vous-en pour voir vos rivages. Ne vous hasardez pas dans la haute mer parce que peut-être en me perdant vous resteriez égarés.

            Les eaux où je m'aventure n'ont jamais été parcourues. Minerve souffle le vent, Apollon me conduit et les neuf Muses me montrent l'Ourse. Vous autres, en petit nombre, qui avez tendu le cou de bonne heure au pain des anges dont on vit ici mais dont on ne se rassasie pas , vous pouvez bien mettre votre navire sur la pleine mer en suivant le sillon que je trace dans les ondes qui se referment derrière moi. Ces hommes illustres qui passèrent à Colchos ne s'étonnèrent pas, comme vous le ferez, lorsqu'ils aperçurent Jason devenu laboureur.

            Le désir perpétuel et inné de voir ce royaume à la forme divine nous emportait presque aussi rapidement que vous voyez tourner le ciel. Béatrix regardait en haut et moi en elle. Et dans le temps qu'une flèche est posée sur l'arc et vole en se détachant de la noix, je me vis arrivé en un lieu où une chose merveilleuse attira mes regards.

            Et celle à qui mes pensées ne pouvaient pas être cachées, tournée vers moi, aussi joyeuse que belle, me dit: — Élève ton esprit reconnaissant vers Dieu qui nous a fait arriver à la première étoile.

Il me semblait que nous étions couverte d'un nuage brillant, épais, solide, et poli comme un diamant que le soleil aurait frappé. La perle éternelle nous reçut comme l'eau reçoit un rayon de lumière, sans en être entr'ouverte.

            Puisqu'il ne se comprend pas comment moi, étant un corps, une dimension en ait pu admettre une autre, ce qui doit arriver lorsqu'un corps pénètre en un autre corps, nous devrions avoir un désir plus ardent de comprendre cette essence dans laquelle on voit comment notre nature s'unit à Dieu. Là, on verra ce que nous croyons par foi, sans preuve. Mais cela deviendra clair par lui-même comme ces vérités premières que l'homme accepte.

            Je répondis: — Aussi dévotement que je puis le faire, je rends grâces à celui qui m a éloigné du monde mortel. Mais dites-moi quelles sont les taches noires de ce corps qui là-bas, sur la terre, font inventer aux hommes des fables sur Caïn?

            Elle sourit un peu, et puis: — Si l'opinion des mortels se trompe, me dit-elle, aux choses que la clef des sens n'ouvre pas, les traits de l'étonnement ne devraient pas t'atteindre désormais. Car tu vois qu'en suivant les sens, la raison a les ailes courtes. Mais dis-moi ce que tu en penses toi-même.

            Et moi: — Ce qui nous semble être divers ici est, je crois, l'effet des corps rares et des corps denses.

            Et elle: — Certes, tu verras à quel point ta croyance est plongée dans l'erreur si tu écoutes bien le raisonnement que je vais faire contre elle. La huitième sphère vous montre plusieurs lumières lesquelles, dans leur éclat et dans leur grandeur, peuvent offrir des aspects différents. Si cet effet n'était produit que par un corps rare et par un corps dense, une seule qualité serait en toutes ces lumières, alternativement plus ou moins abondante. Les qualités diverses sont la suite nécessaire des principes formels et ces principes, excepté un, seraient détruits par ton raisonnement. De plus, si un corps rare était la cause que tu cherches ces taches, ou bien cette planète serait privée de matière en quelqu'une de ses parties, ou bien, ainsi que le gras et le maigre se distribuent dans l'animal, cette planète aurait des pages différentes dans son livre.

                        Dans le premier cas, cela deviendrait évident pendant les éclipses du soleil, parce que ses rayons passeraient à travers la lune, comme ils traversent tout autre corps rare. Or, cela n'est pas.

                        Voyons donc la seconde hypothèse, et s'il arrive que je la détruise, ton avis demeurera faux. Si le corps rare n'est pas traversé par les rayons, il faut qu'il y ait une limite, à partir de laquelle ce corps, devenu dense, ne les laisse plus pénétrer; et alors le rayon revient sur lui-même, comme la couleur est renvoyée par un verre, derrière lequel se cache du plomb.

                        Mais tu diras que si le rayon parait en cet endroit plus obscur que dans les autres, cela vient de ce qu'il est réfléchi plus en arrière.

                        Tu peux te délivrer de cette objection par le fait, si tu as recours à l'expérience, qui est la source d'où s'écoulent les ruisseaux de vos arts.

                        Prends trois miroirs, places-en deux loin de toi, à égale distance, mets le troisième encore plus loin, et fais que tes yeux se retrouvent entre les deux premiers. Tourné vers eux, fais poser derrière toi une lumière qui éclaire les trois miroirs, et qui revienne vers toi répercutée par eux tous.

                        Et quoique plus un objet est vu de loin, moins son étendue est grande, tu verras que les trois miroirs resplendissent également. Or, comme aux atteintes de la chaleur du soleil, les objets que la neige a couverts perdent leur couleur et leur froideur premières, ainsi ton intelligence dégagée sera frappée d'une vive lumière qui scintillera devant tes yeux.

                        Dans le ciel de la divine paix se meut un corps, dans la vertu duquel gît l'être de tout ce qu'il contient. Le ciel suivant, qui a plusieurs étoiles, distribue cet être en diverses essences distinctes de lui et contenues en lui. Les autres sphères, par des manières diverses, dirigent à leur fin et à leur germe ces essences distinctes qu'elles contiennent en elles-mêmes. Les organes du monde procèdent ainsi, comme tu vois, de degré en degré ; ils reçoivent d'en haut et ils transmettent en bas. Or, remarque bien comme je vais par cette voie à la vérité que tu désires, afin qu'ensuite tu puisses seul suivre le gué.

                        Le mouvement et la force des saintes sphères, comme l'art du marteau provient du forgeron, doivent procéder des moteurs bienheureux. Et le ciel, qu'embellissent tant de lumières, prend l'image de l'esprit profond qui le fait mouvoir et en garde l'empreinte. Et comme l'âme se distribue dans votre poussière en divers membres, destinés à diverses fonctions, ainsi l'intelligence déploie sa bonté répandue sur les étoiles, en tournant sur sa propre unité.

                        Des puissances diverses s'allient diversement avec le corps précieux qu'elles animent et auquel elles s'attachent, de même que la vie s'attache à vous. Et comme ces puissances dont le corps est pénétré procèdent d'une nature joyeuse, elles brillent ainsi que la joie dans une vive prunelle. De cette nature provient la différence de lumière à lumière, et non des corps denses et des corps rares. Elle est le principe formel qui produit, selon sa bonté, ce qui est sombre et ce qui est clair.

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